Un peu d’histoire sur le plateau des mille étangs

 

Assez peu d’informations pertinentes sont facilement disponibles sur l’histoire du plateau des mille étangs. Par chance, Denis Mathis a publié récemment un travail fort intéressant sur cette région dont on a pris la liberté d’extraire et d’arranger de larges passages que vous trouverez sur cette page.

Pour consulter l’article : Revue Géographique de l’Est vol.56 / n°1-2 | 2016 « Etangs. Paysages et pays d’étangs ».

Plan de la page: Origine des étangs,   Un peu de géographie,    Les étangs et l’agriculture,   Les étangs et l’industrie.

Origine des étangs  haut

 Comme souvent, la tradition et le récit historique rapportent un aménagement très ancien de ce territoire d’étangs. Les érudits et historiens s’accordent pour une mise en valeur piscicole à partir du XIe siècle en liaison avec la fondation des abbayes de Lure et de Luxeuil-les-Bains et avec [le soutien] des  seigneurs de Faucogney.

L’essor de la pisciculture sur le plateau est présenté comme le principal moteur de ces aménagements d’étangs. En fait, si on considère le XIe siècle comme fondement chronologique, le développement de la pisciculture est une conséquence de la conquête agricole du plateau. En effet, la faible productivité de cette pisciculture de montagne ne peut faire de celle-ci qu’une activité complémentaire. Il faut voir dans l’essor de la pisciculture la conséquence du développement des étangs et non l’origine de leur création.

En fait, les travaux d’aménagement des étangs sont liés à la mise en valeur des terres agricoles et notamment à la bonification des prairies. La mise en valeur du plateau est liée à l’augmentation de la pression anthropique, correspondant peut-être au passage d’un élevage transhumant et d’une occupation temporaire à un élevage [sédentaire] et une occupation permanente.

La nécessité de ressources plus abondantes au sein de ce territoire contraint à bonifier les terres. Il a été nécessaire de réorganiser les « zones humides », de favoriser les écoulements afin d’augmenter les pâturages et les prairies de fauche. Le modèle agricole qui s’est développé repose alors sur les ressources variées de l’élevage bovin laitier, de l’activité forestière et de l’activité piscicole.

Toutes ces productions sont destinées à la plaine et leurs ventes permettaient d’acquérir les ressources alimentaires non produites sur le plateau. Bien qu’isolés, les fermes et hameaux ne peuvent vivre en autarcie et sont liés aux échanges avec la plaine. À ce titre, les deux vallées du Breuchin et de l’Ognon constituent les deux axes majeurs d’échanges.

Le système piscicole a été probablement construit en plusieurs étapes.

En effet, si l’origine des étangs remonte au XIe siècle, en revanche, la diffusion et l’essor de la carpiculture sont plus tardifs et ne remontent au plus tôt qu’au XIIIe siècle. Aussi, s’il est possible de relever une activité piscicole antérieure à la diffusion de la carpe, cette dernière ne repose que sur la pisciculture de la truite.

Dans ce contexte d’une agriculture de montagne sur ces « hauts plateaux » aux sols particulièrement médiocres et où la vie rurale était difficile, cette pisciculture constituait un complément pour les exploitations agricoles. Désormais, cette activité devient indispensable et utilise les étangs réservoirs, accélérant leur mise en place au point de conquérir les zones humides. Ce mécanisme de conquête du plateau et de mobilisation des ressources en eau pour la pisciculture ne doit pas faire oublier que dans ces étangs oligotrophes, les eaux acides et pauvres en éléments nutritifs ont de faibles rendements de l’ordre de 60kg/ha/an.

L’observation des cartes anciennes permet de constater une dynamique d’extension des étangs entre le XVIIIe et le XIXe siècle.

Un peu de géographie haut

Le Pays des Mille Étangs, fragment des Vosges Saônoises, est un des territoires d’étangs parmi les moins connus et pourtant c’est un des plus originaux des pays d’étangs de l’espace national. Ce haut plateau prolonge une section du versant sud-ouest de la montagne vosgienne. Il constitue un espace atypique puisqu’il s’agit d’un territoire d’étangs, établi en grande partie à des altitudes supérieures à 600 m et atteignant 720 m à 730 m au nord-est, au contact de la ligne de crête dominant la vallée de la Moselle (740 m à 750 m). Pour l’essentiel, ce pays d’étangs se situe entre les vallées du Breuchin à l’ouest et de l’Ognon à l’Est.

L’hydrosystème organisé autour de ces deux rivières a été façonné par un important aménagement lentique, (désigne un biotope et les êtres vivants propres aux écosystèmes d’eaux calmes à renouvellement lent) que ce soit au niveau du plateau ou des hautes vallées des deux bassins hydrographiques. L’abondance d’eau et l’hydromorphie (un sol est dit hydromorphe lorsqu’il montre des marques physiques d’une saturation régulière en eau). ambiante sont liées à un relief marqué par l’action glaciaire quaternaire. Le Plateau des Mille Étangs a connu deux, voire trois glaciations marquées par le débordement et le déversement du glacier de la haute Moselle.

La dernière glaciation

Les glaciations dans le massif vosgien

Les glaciations anciennes

Au Sud-Ouest, les glaces se sont arrêtées à proximité de Plombières, Fougerolles et Luxeuil. Les glaciers recouvraient sommets et plateaux, s’engageaient dans des vallées moins creusées et moins profondes qu’elles ne le sont aujourd’hui, et donc dans lesquelles ils s’avançaient relativement moins loin qu’ils ne le firent par la suite. Durant les glaciations anciennes, le paysage le plus probable était celui d’une vaste calotte massive de près d’une trentaine de kilomètres de diamètre coiffant les Vosges moyennes.

L’avant-dernière glaciation

Les vallées sont fortement creusées avant d’être remblayées par les alluvions glaciaires, celle de la Moselle à la sortie d’Épinal est profonde d’une trentaine de mètres supplémentaires, et leurs glaciers s’individualisent davantage. Ils sont cependant suffisamment épais pour déborder et franchir des cols, au Nord et au Sud-Ouest, où le glacier de Moselle déborde largement pour recouvrir encore le plateau des Mille-Etangs, jusque Lure. La calotte glaciaire qui recouvre les Vosges laisse surgir quelques sommets.

La dernière glaciation

Elle a évidemment laissé les traces les plus nombreuses, les plus fraîches, et qui permettent de se faire une bonne idée de la physionomie glaciaire des Vosges au cours de cette dernière glaciation qui a duré environ 60 000 ans, entre moins 70 000 et moins 11000 BP (before present = avant 1950), avec un maximum de froid, et probablement d’extension glaciaire au DGM (dernier maximum glaciaire) vers moins 20000 ans.

Il s’agit essentiellement de glaciers de vallées, issus de nombreux cirques, à des altitudes assez basses, et des glaciers qui ont, pour certains, encore assez d’épaisseur pour déborder par des cols, comme c’est le cas pour le glacier de Moselle, qui déborde encore vers le versant de la Haute Saône, jusque Mélisey, par le col des Croix et le col du Mont-de-Fourche. Ce qui ne l’empêche pas d’arriver jusqu’à Noirgueux, un peu en amont d’Eloyes, et d’y édifier le plus beau complexe de dépôts terminaux des Vosges.

Y a-t-il encore une calotte glaciaire sur les sommets des Vosges ? La question n’est pas tranchée, mais les indices d’absence ou du moins d’extrême minceur d’un recouvrement continu des sommets font plutôt pencher pour une réponse négative.

Extrait de: » Les glaciations dans le Massif vosgien » J.-C. Flageollet. Voir le document.

Les étangs et l’agriculture. haut

Loin d’avoir été une contrainte, l’excès d’eau sur le plateau semble avoir constitué une opportunité pour assurer le développement agricole. Ainsi, les étangs forment des réserves d’eau disponibles pour l’agriculture, notamment pour le développement de l’irrigation. En effet, la maîtrise de l’eau était nécessaire au développement de prairies irriguées afin d’accélérer le démarrage de la saison végétative et la pousse de l’herbe en hâtant le « réchauffement » des sols après les gelées de mars à mai. Cette technique pouvait être également utilisée avant les regains pour faire face à des périodes sèches, voire après les regains (octobre-novembre), pour prolonger la saison végétative. L’augmentation des ressources fourragères par l’irrigation permet la nourriture du cheptel pendant la saison hivernale.

Pour le Plateau des Mille Étangs, les prés irrigués se trouvent en aval de l’étang ou des étangs qui bordent le plus souvent les bâtiments de ferme. En aval de la retenue partent des rigoles de distribution et d’épandage qui se déversent dans les prairies.

Il faut considérer que la gestion de la ressource en eau, compte tenu de l’organisation en chapelet des étangs, induit une démarche collective. Il est probable que cette dernière ait été facilitée par l’étagement des étangs des crêtes vosgiennes jusqu’aux vallées encaissées du Breuchin et de l’Ognon. En effet, le mécanisme d’irrigation agricole, lié au démarrage végétatif, induit pour les vallées puis le plateau une vidange de l’aval vers l’amont des cours d’eau. Ainsi, au fur et à mesure des vidanges, les étangs situés à l’aval récupèrent les eaux lâchées en amont, ce qui permet d’assurer dans les vallées une irrigation régulière au printemps puis à l’automne. Pour les fermes situées en amont, la fonte des neiges au printemps et au début de l’été permet de compenser le renouvellement des eaux. Ainsi, la pratique agricole permet d’assurer un renouvellement et une gestion cohérente des eaux des étangs sommitaux jusqu’aux fonds de vallées de l’Ognon et du Breuchin.

Les étangs et l’industrie. haut

La régulation des hydrosystèmes de l’amont vers l’aval a permis d’assurer une régularité du débit des cours d’eau. La construction des étangs s’est accrue aux XVIIIe-XIXe siècles. L’essor agricole  accompagnait alors un essor industriel. La gestion ancienne de l’hydrosystème et de la ressource en eau était favorable au développement du secteur pré-industriel, qu’il s’agisse de moulins, de scieries ou de foulons (où l’on foulait les draps, ou la laine tissée dans de l’argile pour les assouplir et les dégraisser).. Ainsi A. Perrier signalait que « en dehors des papeteries on ne trouvait le long des rivières que quelques moulins foulon pour la préparation de la laine et des teintureries » et que « l’utilisation industrielle des rivières ne remonte guère qu’au siècle dernier exception faite pour les papeteries de la vallée du Breuchin dont on retrouve la trace jusqu’au XVe siècle ». L’industrie verrière a profité également de la mise en exploitation et des défrichements du plateau ; elle a pu profiter de l’exploitation de la tourbe lors de la mise en eau des étangs.

Progressivement la ressource en eau mobilisée et mobilisable à partir des étangs va servir à l’essor industriel du XIXe siècle. Ainsi, note A. Perrier, c’est « vers 1850-1860 (que) des industriels d’origine vosgienne ou alsacienne créent des tissages mécaniques ou même des filatures à Haut-du-Them sur de petits affluents de Ognon et la Longine sur un petit affluent du Breuchin (…), les propriétaires des anciennes papeteries remplacent la fabrication du papier par la filature et le tissage du coton ». Enfin « Quelques années avant la guerre de 1914 des industriels vosgiens ont créé de nouveaux tissages à Servance, à Champagney, à Faucogney (…). Le travail du coton a même fini par absorber les autres industries textiles. Le tissage du droguet (étoffe de laine et coton, coton et soie ou de soie ornée de dessins brochés) (…) qui s’était maintenu longtemps à  Melisey a complétement disparu ». Ce second temps de l’essor industriel exploite la ressource en eau disponible dans les vallées et vallons, créant une solidarité entre le plateau qui dispose d’une population abondante et de la ressource en eau et les vallées qui constituent les axes de circulation et disposent de l’espace nécessaire à l’installation d’établissements industriels. La métallurgie et surtout le textile se sont développés, se superposant (…). Ainsi, à Servance la commune a compté 13 moulins, 5 scieries et 2 tissages. À Corravillers, c’est la forge Clément spécialisée dans la production de matériel agricole et notamment de charrue.